lundi 26 juillet 2010

Le Prince des marées - Pat Conroy


Je ne sais plus vraiment pourquoi j'ai ouvert Le Prince des marées il y a quelques années, un peu par hasard certainement. Ce qui est sûr c’est que j’ai adoré, qu’il fait partie des titres que je conseille régulièrement et que je n'imaginais pas un blog sans en parler !

Tom Wingo a grandi sur l’île de Melrose en Caroline du Sud dans une famille chaotique. Henry, le père pêcheur de crevettes, rude et violent ; Lila, la mère trop belle et ambitieuse pour leur cabane au fond des marais ; Luke, le grand frère protecteur ; et surtout Savannah, la sœur jumelle future poétesse.
Tom a voulu un temps échapper à ce Sud haï mais tellement constitutif de tout son être, à ses souvenirs si douloureux : mais le voilà toujours là, marié et père de famille, un peu résigné, gâchant ses talents pour entraîner les élèves du lycée, tentant d’oublier le divorce destructeur de ces parents, sa mère remariée si aimable parfois et pourtant si monstrueuse, l'enfance ravagée par un mystérieux secret…
Savannah, sa moitié – car il s’agit bien d’une de ces gémellités complice et intense –, a fui à New York mais elle n’est pas pour autant sauvée : hantée par des fantômes terrifiants, elle est sujette à de violents délires et tente une énième fois de se suicider.
Sa psychiatre, Susan Lowenstein, fait alors appel à Tom pour tenter de reconstituer le passé de Savannah, comprendre ce qu’il avait de si dévastateur, et pouvoir ainsi espérer la sauver de sa folie. Et le dialogue se noue, compliqué et douloureux, traçant peu à peu l'histoire des Wingo.

Comment expliquer un vrai « grand » roman… Car c’est ce que j’ai ressenti après avoir refermé ce livre : une fresque familiale tumultueuse, bouleversante mais pleine d’un humour acide à chaque page, un récit haletant (les mille pages passent trop vite) servi par une langue si riche. C’est aussi une formidable peinture du Sud profond – personnage fondamental de tous les romans de Pat Conroy qui sait à la fois le rendre attachant et détestable. A lire donc !


Le Prince des marées, Pat Conroy (Belfond, 588 pages, 2002 / Pocket, 1070 pages, 2004)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Cartano


jeudi 15 juillet 2010

Lemmer l’invisible - Deon Meyer


Deuxième lecture dans le cadre de la sélection pour le Prix du polar Points. J’ai déjà lu un livre de cet auteur sud-africain prolifique mais le fait qu'il ne m’ait laissé aucun souvenir ne me met pas en confiance…

Lemmer, qui sort de quatre ans de prison, est employé comme garde du corps par la société Body Armour. L’agence est contactée par une jeune femme afrikaner, Emma Le Roux, qui veut une protection après avoir été attaquée chez elle. Emma est persuadée que cette agression est liée à ses récentes démarches au sujet d’un avis de recherche. Elle pense en effet y avoir reconnu son frère dans la photo d’un homme poursuivi pour meurtre. Problème : son frère est mort il y a vingt ans de cela.
Lemmer est perplexe : Emma est une très belle femme à l’air plutôt sensé mais elle semble obsédée par cette histoire et à la limite de l’affabulation. Mais lorsqu'ils échappent de justesse aux tirs de trois hommes cagoulés, sa curiosité est piquée au vif et il accepte la mission…

Le rythme est soutenu, le trouble entre Lemmer et Emma ajoute de l'intensité à cette protection qui devient vite une enquête dangereuse pour les deux protagonistes. À la longue toutefois, les attirances et histoires personnelles de Lemmer prennent toutefois bien trop de place dans le récit ! Son personnage de garde du corps discret et renfermé n’en est pas moins atypique, et son côté antihéros le rend attachant.
Il est question du grand bush sud-africain, de la société postapartheid, des enjeux écologiques actuels, mais aussi du passé politique de la région. J'aurais aimé que tous ces aspects soient plus consistants et plus constitutifs du récit, notamment l’histoire récente du pays.

Une lecture assez agréable, une intrigue prenante (néanmoins un final trop abracadabrant pour moi) mais rien de marquant... À conseiller pour la plage donc, mais certainement pas pour véritablement découvrir l'Afrique du Sud…


Lemmer l’invisible - Deon Meyer (Seuil, 432 pages, 2008 / Points, 544 pages, 2010)
Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Estelle Roudet


lundi 5 juillet 2010

La Dame noire - Stephen Carter


Stephen Carter reprend ici le cadre de son premier roman Échec et mat (l'université d'Elm Harbor, petite ville de Nouvelle-Angleterre) et deux de ses personnages secondaires : Lemaster Carlyle, ancien conseiller du président des États-Unis – à noter que l’auteur le fut auprès de Bill Clinton) et président de l'une des plus prestigieuses universités d'Amérique ; et sa femme Julia, doyenne et vice-présidente de la faculté de théologie. Tous deux forment un couple très en vue, souvent jalousé, et vivent dans le quartier huppé – blanc – d'Elm Harbor.
Un soir, en rentrant d'une réception, ils découvrent le cadavre de Kellen Zant, économiste réputé, ancien amour de Julia et rival fréquent de Lemaster. Bien malgré elle, Julia se retrouve peu à peu à mener l’enquête sur ce meurtre et à fouiller un passé vieux de trente ans qui implique son mari et ses amis de jeunesse – l’actuel occupant de la Maison Blanche et le sénateur briguant le prochain mandat.

Dans ce second roman, Carter poursuit son étude de la communauté afro-américaine, ou plutôt de ses élites intellectuelles et financières, et surtout de leurs contradictions : une volonté farouche de défendre les droits de l’«obscure nation » et pourtant une vie quotidienne plus proche des Blancs.
Par le biais d’une quête de la vérité, c’est de politique et de problématiques raciales dont il est question : les méandres du pouvoir, l’amabilité de façade de certains Blancs pour les Noirs puissants comme les Carlyle, la permanence des idées reçues…

J’ai dévoré ces 900 pages brillantes et passionnantes, comme je l’avais fait pour Échec et mat – dans lequel j’ai bien envie de me replonger. Très bien écrit, extrêmement intelligent, c’est autant un roman-document à la Tom Wolfe qu’un roman policier.
L’auteur en semble conscient d’ailleurs et c'est comme s'il introduisait certains passages uniquement pour respecter les « codes » du polar : une intrigue terriblement alambiquée (on finit par s’y perdre quand on lit, comme moi, un peu trop vite), des scènes d’action sans grand intérêt (peu nombreuses, heureusement) et un dénouement haletant et spectaculaire. Dommage, car on préfèrerait des rebondissements plus sobres.
Mais l’ensemble reste un formidable et captivant roman de société.


La Dame noire, Stephen Carter (Robert Laffont, 656 pages, 2009 /
Pocket, 912 pages, 2010)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Bernard Cohen


jeudi 1 juillet 2010

Élégie pour un Américain - Siri Hustvedt


De retour à New York après l'enterrement de leur père dans le Minnesota, Erik Davidsen et sa sœur, Inga, découvrent une vieille lettre mentionnant une mort mystérieuse dans laquelle leur père aurait été impliqué dans sa jeunesse. Dès lors, avec l’aide d’Inga, Erik, psychiatre divorcé un peu esseulé, tente de reconstituer cette histoire : en lisant les vieux carnets de son père, en questionnant discrètement sa mère, en partant à la recherche de la femme qui a écrit cette missive… Et, davantage qu’élucider ce (pseudo)-mystère, il lève le voile sur la vie de son père – son parcours d’immigré norvégien, son expérience de la guerre et sur ses propres questionnements…
À côté de cette histoire passée que l’on découvre tel un archéologue, par bribes successives, on suit Erik et son entourage : sa sœur Inga, récemment veuve d’un romancier célèbre (dont une ancienne maîtresse menace de vendre la correspondance), sa nièce Sonia, adolescente traumatisée par l’expérience du 11-Septembre, mais aussi la belle Miranda qui lui sous-loue le rez-de-chaussée de sa maison avec sa fille Eggy, et dont l’ex, artiste illuminé, rôde toujours. Pour cette petite, et pour Sonia, Erik joue un peu le rôle du père – lui qui est sans enfant.

C’est un très beau texte : sur l’âge, la mémoire tant individuelle que familiale, le souvenir que l’on veut (ou non) garder des autres, la difficulté à transmettre à ceux que nous aimons. Les « thèmes » sont peut-être même trop nombreux et j’ai notamment regretté que la question du déracinement et de l’immigration ne soit pas plus approfondie : mais c’est certainement là une lecture trop « française » car les enjeux, dans un pays dont le melting-pot est une mythologie originelle, sont probablement moins pesants.
On ne peut s’empêcher de chercher la comparaison entre Siri Hustvedt et son célèbre mari Paul Auster : si les univers et les problématiques se rejoignent, l’écriture de Siri Hustvedt est bien plus ancrée, plus « réelle » en quelque sorte. Si ce roman m'a beaucoup plus, avec le recul, le précédent, Tout ce que j’aimais, me paraît supérieur : plus intense mais aussi plus sombre…


Élégie pour un Américain, Siri Hustvedt (Actes Sud, 400 pages, 2008 / Babel, 400 pages, 2010)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Le Bœuf