mardi 28 juin 2011

D'acier - Silvia Avallone


Anna et Francesca ont treize ans, bientôt quatorze. Plein été à Piombino et vacances désœuvrées dans cette cité ouvrière face à l’île d’Elbe, bien loin de la Toscane qui fait rêver les touristes.
Elles sont amies « depuis toujours », vont à la même école, vivent dans la même sinistre barre d’immeuble qui, au moins, surplombe la plage. Mais une plage désolée, à l’image de la ville, des ouvriers dépendants de la Lucchini, l’aciérie locale : les riches et les touristes ne s’y arrêtent pas ; non, eux prennent le bateau pour l’Elbe.

Dès les premières pages qui présentent Enrico, le père de Francesca, épiant sa fille depuis son balcon, jaloux de ce corps en pleine éclosion, on entrevoit toute la laideur de leur univers.
Et c’est effectivement un aréopage de personnages sinistres ou défaits qui entoure les deux adolescentes : Enrico, emmuré dans sa folie, bat sa femme Rosa et tyrannise Francesca ; Rosa mariée trop jeune à un garçon alors charmeur n’imagine plus se sortir de ce marasme ; Arturo, le père d’Anna, enchaîne petits boulots et coups fumeux ; sa femme Sandra se veut libre, forte, lit le journal et distribue des tracts pour Rifondazione communista, mais n’a au final pas le courage de partir. Quant à leur fils, Alessio, le beau grand frère d’Anna, il travaille bien entendu à la Lucchini, vend du cuivre en douce, chante les louanges de Silvio Berlusconi et prend doucement le chemin emprunté par les hommes de Piombino : la misère relative, les enfants venus trop tôt, l’ennui, les virées au miteux bar à strip-tease le Gilda, la violence…

Mais Anna et Francesca ont treize ans et sortent de l’enfance avec envie et violence. Elles sont belles comme pas permis, jouent aux vamps, découvrent leur formidable pouvoir de séduction et jouissent de chaque petit moment volé. Et surtout, elles rêvent : Francesca si sublime sera miss Italie, Anna si brillante sera médecin, ou écrivain, ou encore Premier ministre !
L’été, les garçons, le lycée pour l’une et l’enseignement technique pour l’autre, et surtout le trouble de l’éveil des sentiments, viennent les éloigner. Et cette distance subite sera aussi dure que leur amitié était passionnée, fusionnelle.

D’acier est terriblement réaliste sur l’Italie contemporaine, sa pauvreté grandissante, le règne du vulgaire et de l’apparence ; mais c’est aussi un roman subtil sur cet âge étrange où tout est possible et où tout paraît pourtant tellement définitif…
En le refermant, je n’étais pas totalement sûre d’avoir aimé : le glauque à chaque page, l’univers bouché, la lassitude généralisée, l’absence d’espoir forment un tout extrêmement pesant, désillusionné… Mais quelques jours ont passé et, malgré les longueurs du récit, c'est la force D’acier dont je me souviens, sa force et sa petite poésie - la flamboyance des adolescentes, passagère mais si sublime, les espoirs encore vivaces -, qui en font un très beau roman.


D'acier, Silvia Avallone (Liana Levi, 400 pages, 2011)
Traduit de l'italien par Françoise Brun


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