mardi 25 octobre 2011

Intrusion - Natsuo Kirino


Quatrième livre dans le cadre de la sélection du Prix Seuil Policiers (après Les leçons du mal, Losers nés et Les Neuf Dragons). La couverture m’a fait imaginer un thriller puissant, une atmosphère angoissante… Mais, disons-le dès maintenant, je dois avoir trop d’imagination.

L’éditeur évoque « une histoire d’amour, un roman policier littéraire, et une réflexion philosophique sur le rapport réalité-fiction »… Je ne suis pas totalement emballée par le résumé mais, en revanche, j’ai très envie de découvrir un exemple de la littérature japonaise – que je connais très peu.

Tamaki Suzuki, jeune romancière en vogue, a vécu une longue liaison adultère avec son éditeur Seiji Abé. Leur rupture, très douloureuse pour tous deux, a perturbé, voire détruit, leurs foyers respectifs. Un an après, Tamaki ne s’en est toujours pas remise. Intrusion croise les souvenirs de la jeune femme et ses réflexions autour de son nouveau projet littéraire, clairement le fruit de son état affectif. Son prochain roman, Inassouvi, sera ainsi une enquête sur le grand écrivain Mikio Midorikawa et sur son best-seller, Innocent, récit autobiographique qu’il revendiquait aussi riche de fiction… Tamaki veut résoudre LE mystère d’Innocent : qui est la fameuse O., maîtresse de Midorikawa ? Ce dernier relate longuement leur relation, sa découverte par son épouse Chiyoko, le cataclysme que cela a occasionné dans leur couple… Les critiques et lecteurs ont émis de nombreuses hypothèses sur l’identité de O., sur la part de fiction, et Tamaki entend bien résoudre ce mystère.

Beaucoup de romans dans le roman donc. Et les récits s’imbriquent à n’en plus finir. Tamaki raconte par anecdotes successives sa relation avec Seiji : pourtant, cette relation passionnée, exclusive et destructrice selon ses propos ne prend jamais véritablement corps – comme si Tamaki ne parvenait pas à nous convaincre de sa force, et même de sa réalité. Le fait qu’elle évoque exclusivement cet aspect de sa vie y est probablement pour quelque chose : son mari et ses enfants n’apparaissent qu’une fois et ne paraissent pas très importants au final, les contingences de la vie quotidienne ne semblent pas avoir de prise sur elle.

Histoires d’amours et d’orgueils surtout. Et, malheureusement, beaucoup de ressassement, de répétions et de piétinement. Quant à « l’affaire O. », si on considère – en lecteur français qui y est habitué – Innocent comme de l’autofiction, il n’y a plus grand-chose à questionner et les interminables développements et interrogations philosophico-existentielles perdent tout intérêt. Enfin, l’enquête sur l’identité de O. n’est pas franchement passionnante. Là est censé être l’aspect policier du texte… mais je n’en ai vu aucun élément véritable.
Il est d’ailleurs dommage, selon moi, qu’Intrusion figure dans cette collection, car cela implique inévitablement certaines attentes chez le lecteur. Mon avis serait peut-être moins tranché si je l’avais abordé comme un roman, et non un roman policier. Car l’écriture est assez limpide et il y a de jolis passages.

Une déception donc.

Merci quand même à Babelio et au Seuil.

Intrusion, Natsuo Kirino (Seuil, 280 pages, 2011)
Traduit du japonais par Claude Martin



Critiques et infos sur Babelio.com

samedi 8 octobre 2011

Allmen et les libellules - Martin Suter


Comme le montrent certains de mes posts (Small world, Un ami parfait, Le cuisinier), les romans de Martin Suter sont une de mes marottes littéraires. J’ai donc ouvert avec bonheur son dernier opus, paru au printemps, Allmen et les libellules. C’est un court récit assez différent des précédents : la quatrième de couverture nous apprend en effet qu’Allmen et les libellules est pensé comme le début d’une série mettant en scène un duo d’enquêteurs. Après Poirot/Hastings, Holmes/Watson, voici donc Johann Friedrich von Allmen – sir John – et Carlos…

Tel un écho désargenté du Dernier des Weynfeldt, autre héros de Suter, sir John est un véritable gentleman. Issu d’une famille fortunée, il a toujours été très dispendieux, n’a bien entendu jamais travaillé pour cela, et entend bien maintenir son train de vie – ce, malgré la fonte de son patrimoine. Il accumule les ardoises, qu’on lui permet pour son passif, s’en sort par des pirouettes : il vend discrètement ses possessions les moins visibles, même sa somptueuse villa dont il a négocié l’usufruit, sous-loue sa seconde place à l’opéra, etc. Mais cela ne suffit pas et il se met à dérober des pièces de collection chez ses connaissances ou rencontres d’un soir.
Malheureusement, il vole la mauvaise personne : le richissime père de Jojo, femme à la beauté fanée avec qui il vient de passer la nuit. Et surtout, le mauvais objet, une sublime coupe art déco, ornée de libellules, disparue du marché il y a des années… Sir John se retrouve alors impliqué dans une histoire qui le dépasse, plus dangereuse que prévue mais aussi bien plus rentable. Il s’improvise tel un étrange Arsène Lupin, cambrioleur mais aussi enquêteur et maître-chanteur, accompagné pour cela par Carlos, son très fidèle majordome guatémaltèque, bien plus malin que son maître en de nombreuses occasions. Leurs échanges, tantôt en espagnol basique, tantôt par des gestes ou attitudes expressives, font toute la saveur du roman. Les deux hommes sont très attachés malgré la formalité de leurs rapports – ce qui explique l’évolution de leur « partenariat ».

Péripéties et ruses diverses se succèdent dans un style respectueux du genre : un peu suranné, cocasse mais raffiné (en un mot, très british)… L’intrigue ne compte pas véritablement – elle est d’ailleurs assez embrouillée, reconnaissons-le –, le charme d’Allmen et les libellules est dans l’atmosphère, le rythme, le style toujours aussi délié et précis, l’humour…

Une très agréable friandise pour les amateurs du genre et/ou de l’auteur. En attendant le deuxième pour juger la série Allmen/Carlos, pour découvrir Martin Suter je conseillerais plutôt Small world ou Le diable de Milan.


Allmen et les libellules, Martin Suter (Christian Bourgois, 168 pages, 2011)
Traduit de l’allemand (Suisse) par Olivier Mannoni

mardi 4 octobre 2011

La Passerelle - Lorrie Moore


Tassie Keltjin vient d’une ferme du fin fond du Midwest. Élevée dans une famille de la classe moyenne agricole, elle n’a jamais voyagé, ne serait-ce qu’hors de l’État. C’est donc une toute nouvelle vie que découvre cette véritable « country girl » en s’installant en ville pour ses études.
Pour payer ses dépenses, elle accepte un emploi de baby-sitter chez les Brink, Sarah et Edward. Si la famille est particulière (couple apparemment atypique et décalé, rarement ensemble), la situation l’est davantage : l’enfant n’est pas encore là puisqu’il s’agit d’une chaotique procédure d’adoption – mais Sarah est déjà convaincue qu’ils auront besoin d’aide pour faire face au quotidien. Tassie se retrouve même à accompagner cette dernière lors des rencontres avec les parents biologiques, telle une figure rassurante, même quand il faut parcourir des milliers de kilomètres pour cela. Logiquement mal à l’aise de participer à cette quête, Tassie s’interroge quelque peu mais la venue, enfin, de Mary-Emma, une petite métisse de quelques mois, l’incite à rester chez les Brink.

La fillette est adorable et s’attache à sa nounou mais la situation se détériore rapidement : les parents ne s’en occupent que peu, Sarah semble totalement démunie face à Mary-Emma, Tassie est confrontée au racisme en promenant le bébé…
La Passerelle démarre donc de façon prometteuse : le décalage au sein du couple, celui avec Tassie, la découverte du « monde » de cette dernière, la difficulté pour un couple blanc de se faire accepter comme parents d’une petite Noire, etc.

Ajoutons à cela l’environnement familial de Tassie que l’on découvre peu à peu – les rapports compliqués avec ses parents, leurs problèmes personnels, sa complicité avec son frère –, ses histoires de colocation et un début de relation avec un étudiant brésilien… Un contexte enrichissant si cela s’arrêtait là, mais quand son frère part à la guerre et que le petit-ami se révèle être un terroriste islamiste, les clichés s’accumulent et le texte donne une impression de fourre-tout phénoménal. Et, lorsque l’on en apprend plus sur les Brink (là, je m’arrête pour ne pas gâcher la surprise à ceux qui voudrait lire La Passerelle), on bascule vraiment dans le n’importe quoi. Non qu’il soit fondamentalement problématique de vouloir traiter de nombreuses thématiques – on connaît de formidables exemples – mais il faut réussir à donner une réelle cohérence à l’ensemble, et Lorrie Moore n’y parvient pas véritablement selon moi.
Quant au personnage de Tassie, sa naïveté (en bonne caricature de la fille du Midwest) m’a lassée, voire irritée, et son côté « spectateur » m’a paru terriblement exaspérant.

En bref, je ne suis jamais entrée dans le roman. Et pourtant, l’écriture est vive, souvent fine, mais le récit manque de lien et, bizarrement, vu le sujet, de densité.
Je suis donc totalement passée à côté de ce roman aux critiques enthousiastes…


La Passerelle, Lorrie Moore (L’Olivier, 368 pages, 2010 / Points, 400 pages, 2011)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laetitia Devaux