lundi 23 janvier 2012

Les oreilles de Buster - Maria Ernestam


« J’avais sept ans quand j’ai décidé de tuer ma mère. Et dix-sept ans quand j’ai finalement mis mon projet à exécution » : le début des Oreilles de Buster me faisait craindre un roman sombre de bout en bout, voire glauque. Mais on m’en avait dit tant de bien (les libraires lui ont d’ailleurs décerné le prix Page cet automne) qu’il me fallait le découvrir ; et grand bien m’en a pris !

C’est Eva l’auteur de cette terrible première phrase. Eva qui, elle, est loin d’être terrible : elle semble plutôt indifférente, comme « en dehors », mystérieuse peut-être, ambivalente probablement. Pour ses cinquante-six ans, sa petite-fille lui offre un journal intime et, en grand-mère attentionnée, Eva entend bien utiliser ce présent. Elle qui ne s’est jamais véritablement livrée se met à noter ses pensées le soir venu, prise d’insomnie. Et le flot des souvenirs, l’envie (le besoin ?) de raconter l’emportent.

Car il y a beaucoup à dire pour expliquer la terrible première phrase de ces confessions. Eva revient sur son enfance entre une mère trop moderne, originale et capricieuse, faite ni pour le mariage ni pour la maternité… Et sur ce père, si mal assorti à sa flamboyante épouse, tentant vainement de maintenir l’illusion d’un couple, d’une famille unie et heureuse.
Dans son journal devenu une véritable drogue nocturne, Eva fait revivre l’enfant qu’elle a été, la carapace qu’il lui a fallu se construire peu à peu, l’adolescente tiraillée…
En parallèle, elle confie aussi ses préoccupations d'aujourd’hui : les méchancetés d’Irène, vieille femme sénile, sorte de double expiatoire de sa mère ; sa propre fille qui se plaint d’avoir été « trop » aimée, jamais contrariée alors qu’elle n’attendait que cela ; et Sven, bien entendu, le compagnon de sa vie si bien réglée.
Une vie dont Eva, renouant avec les douleurs enfouies, dévoile progressivement l’envers et fendille le vernis.

Dans une prose très fluide et joliment juste, Maria Ernestam construit son récit avec brio, fascine le lecteur par cette mère odieuse, cette jeune fille à la fois fragile et résolue à être forte, par la femme apparemment sereine qu’elle est devenue… Eva est quant à elle finement dépeinte, tantôt candide, tantôt perverse – à l’image de ces Oreilles de Buster à la symbolique édifiante.
Un roman psychologique surprenant, dont l’atmosphère est assez difficile à décrire. Certains seront probablement déconcertés, voire rebutés par ce mélange de naïveté et de dureté. Moi, il m’a captivé en tout cas !


Les oreilles de Buster, Maria Ernestam (Gaïa, 416 pages, 2011)
Traduit du suédois par Esther Sermage


2 commentaires:

  1. Tu me donnes grandement envie de le lire. Ma bibliothèque l'a acquis, je compte bien aller l'emprunter très prochainement ! Merci pour cette chouette critique :)

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